Le ton de la rentrée est donné. Il commence par une victoire au travers de celui d’une femme qui se bat depuis plus de six ans. Six ans depuis que son mari, Thierry qui travaillait au centre d’appels de Cherbourg dit « help desk » d’Areva comme salarié sous-traitant de la société Euriware, se suicide par arme à feu à son domicile le 4 mars 2013. A la suite de ce drame, les élus CGT du CHSCT Euriware dans leur enquête, n’ont pu que constater son profond mal-être au travail. Le dossier ne laissait guère de place au doute et la Cour d’appel de Caen, par un arrêt daté du 22 août 2019 a prononcé la faute inexcusable de l’employeur.
L’employeur direct de Thierry était l’entreprise Proservia, appartenant au groupe Manpower. Donc Proservia est condamnée pour faute inexcusable car elle avait le devoir de protéger ses salariés plutôt que de se soumettre aux exigences néfastes du donneur d’ordres, Euriware-filiale d’Areva aujourd’hui rachetée par Capgemini. La Cour retient que le désarroi du salarié était accru par le cadre de la sous-traitance et ses spécificités (pas de perspectives d’évolution, mise à l’écart de la culture d’entreprise…).
Mais s’il n’y a qu’un seul condamné dans cette affaire, tous les acteurs, ayant conduit au drame, sont impliqués.
- Ça commence par un client qui négocie un contrat au plus bas coût mais exige une qualité de prestation démesurée, passant par une disponibilité de tous les instants, c’est-à-dire un taux de décroché du téléphone par les opérateurs très élevé, intenable avec la structure mise en place.
- Puis un donneur d’ordres qui pour satisfaire ce client exige du rendement dans le centre d’appels, et pour ce faire s’appuie sur de la sous-traitance, plus corvéable, imposant des objectifs très élevés, instaurant un climat de précarité, chronométrant les « pauses pipi » ( !) ou encore limitant les appels à 7 minutes maximum, empêchant ainsi parfois les opérateurs de bien faire leur travail quand un service de qualité en aurait par exemple exigé 10 min.
- Enfin, un employeur final fonctionnant comme une société d’intérim sans en être une, adepte des contrats précaires rémunérés au plus bas. On peut parler ici de « salariés kleenex » gérés par une « boite à viande ».
Cette organisation de travail pathogène, systémique fragilise et rend plus vulnérables les salariés. La course au profit sans partage et à la rentabilité à tout prix règne et prime sur l’humain avec à la clé les conséquences que l’on sait.
Après six années, la justice est passée, et la Cour d’Appel confirme que le décès est un accident de travail, dit que ce décès est dû à la faute inexcusable de son employeur, et condamne la société Proservia. Alors oui, on peut parler de victoire.
Cependant, nous n’oublierons jamais, le 4 mars 2013, jour où Thierry a quitté dans la matinée l’Open Space de Viking pour aller mettre fin à ses jours.