Le 1er avril, la direction de Capgemini, dans un message envoyé aux 24 257 salarié.e.s du groupe en France, s’auto-congratulait pour son excellente gestion de la crise du covid-19. Si le sujet n’était pas aussi grave, touchant à la santé et même à la vie des gens, cela aurait pu être un excellent poisson d’avril.
Petit retour en arrière…
Pour la réunion du CSE Infra du 25 février, la délégation CGT avait demandé l’ajout à l’ordre du jour d’un point sur le PCA (Plan de Continuité d’Activité) des sites Capgemini pour faire face à la propagation de l’épidémie. Devant le refus conjoint de la direction et du secrétaire CFDT, la délégation CGT avait alors demandé la tenue d’une réunion rapidement. En effet, l’article L. 4121-1 du Code du travail stipule que l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salarié.e.s et des sous-traitants qui travaillent pour lui. Il était donc bien urgent de réunir un CSE exceptionnel, notamment sur les mesures à prendre pour lutter contre le Covid-19. Là encore, nous avons essuyé un refus catégorique et conjoint de la direction et de la majorité du CSE autour de la CFDT. Les salarié.e.s de Capgemini ont dû attendre le 26 février pour que la direction communique enfin sur le Covid-19. Mais cette dernière a rappelé uniquement les recommandations gouvernementales. Or, même si les liens entre la direction de Capgemini et la Macronie sont forts, le gouvernement n’est pas notre employeur.
Le 3 mars, la direction de Capgemini a enfin pris, à reculons, quelques mesures : l’obligation de tenir en visioconférence les réunions de plus de 15 participants (pourquoi 15 ?) et l’annulation des déplacements nationaux en train ou en avion. Mais la grande majorité des salarié.e.s n’est pas concerné.e par ces mesures. Cela ne s’applique en effet pas aux bureaux en flex office où les salarié.e.s se côtoient avec une grande promiscuité pendant toute la journée de travail. Et en sont explicitement exclus les déplacements locaux en transport en commun pour se rendre sur les sites de Capgemini ou les déplacements des salarié.e.s chez les clients. A croire que le fait d’être placé chez un client suffirait pour être immunisé contre le Covid-19 !
Mais la direction ne respecte pas elle-même les quelques règles qu’elle a édictées. Ainsi des salarié.e.s du GAA se voient imposer une présence obligatoire pour une réunion physique avec plus de 15 personnes. Le 10 mars, un élu CGT interpelle par courriel la direction à ce sujet : silence radio. Le 13 mars, ce même élu CGT écrit que « tous les jours, nous constatons que les mesures prises ne répondent pas à l’ampleur de la crise ». Et il ose s’inquiéter de la persévérance de la direction à vouloir maintenir le CSE Infra du 17 mars en réunion physique, avec la présence de plus de 30 personnes qui viendraient des 4 coins de France. La direction a finalement reporté le CSE.
La situation est complètement inédite. Le 12 mars, le président de la république annonce la fermeture de tous les établissements scolaires pour le 16 mars pour tenter de freiner la propagation du coronavirus. Le 14 mars, il procède à la fermeture des commerces non indispensables. Le 16 mars, il décrète la restriction drastique des déplacements qui s’apparente de fait à un confinement de la population.
Dans des communications envoyées à tous les salarié.e.s le 13 et le 15 mars, la direction se contente d’annoncer l’augmentation du recours au télétravail. Enfin ! Pour une entreprise qui travaille dans le secteur numérique, le télétravail semble une évidence. Sauf que c’est comme avant.
Pour les salarié.e.s qui travaillent sur les sites Capgemini, cela ne peut se faire qu’avec l’autorisation du manager. Certains managers ont tendance à considérer que le télétravail est à réserver uniquement aux salarié.e.s qui doivent « garder » leurs enfants suite à la fermeture des établissements scolaires. Et ils le font savoir (oralement) à leurs subordonné.e.s. Outre que c’est matériellement impossible, un parent ne peut pas faire du télétravail tout en gardant ses enfants, c’est bien sûr totalement illégal. Pour les salarié.e.s qui travaillent chez les clients, le télétravail n’est possible qu’avec l’accord du client.
Mais pour cela, il faudrait que Capgemini ait prévu un Plan de Continuité d’Activité pour ses propres sites et, en collaboration avec les clients, un PCA sur les sites du client : difficile de le croire, puisque 19 jours auparavant, la direction avouait son incapacité à présenter un tel document.
Bref, entre son profit et notre santé, la direction de Capgemini a choisi… son profit.
Le 16 mars à 11h14, un élu CGT au CSE Infra a déclenché, conformément à l’article L2312-60, une procédure de DGI (Danger Grave et Imminent), qui concerne tous les sites et tou.te.s les salarié.e.s sur Capgemini TS Infra.
Les salarié.e.s nous ont fait remonter un certain nombre de problèmes sur des sites Capgemini ou sur des sites clients sur la non application des consignes de sécurité :
• manque d’EPI (Equipement de Protection Individuelle), c’est-à-dire de masques, de gants, ou même tout simplement un manque de gel hydro-alcoolique ;
• distanciation géographique non respectée dans des bureaux en open-space
• refus de télétravail de la part de managers locaux alors que le télétravail est techniquement possible, les salarié.e.s ayant souvent travaillé par anticipation à trouver d’eux-mêmes une solution
La direction n’était le plus souvent pas au courant, manifestant ainsi une méconnaissance de la situation sur le terrain. Nous avons mis l’inspection du travail en copie de nos échanges par mail avec la direction. Et les inspections du travail du 33, 38, 73, … sont intervenues pour demander des comptes. Cela a sûrement contraint la direction à s’occuper de ces problèmes, même si les cas que nous avons remontés ne sont pas tous réglés aujourd’hui et même si nous continuons à en découvrir de nouveaux. Et cela a sans doute aussi poussé la direction à accélérer la mise en place du télétravail pour beaucoup plus de salarié.e.s.
Un DGI ne sert pas seulement à faire remonter des problèmes à la direction et à les faire traiter par cette dernière. Cela doit être une enquête conjointe entre la direction et le lanceur d’alerte (l’initiateur du DGI). La direction doit expliciter l’ensemble des mesures qu’elle a prises et détailler la mise en œuvre de ces mesures pour tous les sites Capgemini et pour tou.te.s les salarié.e.s Capgemini, y compris celles et ceux travaillant en clientèle.
De fait, l’enquête n’a jamais vraiment démarré. Le 16 mars, le lanceur d’alerte du DGI, après avoir relancé par courriel Mr Tarrit, président du CSE, a essayé de l’appeler. Au second rappel, Mr Tarrit a décroché et a expliqué être en communication et qu’il le rappellerait. Plus de son et plus d’image jusqu’au 18 mars, ou le lanceur d’alerte a été convié à une réunion intitulée « Enquête conjointe à distance suite DGI COVID-19 ». Mais il ne s’agissait pas de discuter de la mise en place des modalités de celle-ci. Les 3 membres de la direction présents ont passé leur temps à réfuter en pratique la réalité du DGI et à mettre en cause le lanceur d’alerte.
Dans le cadre du DGI, nous avions demandé à la direction un certain nombre d’informations : notamment la liste des salarié.e.s qui ne sont pas confiné.e.s chez eux, la liste des sites Capgemini et des sites clients ou ces salarié.e.s travaillent, et les raisons pour lesquelles ils ou elles ne peuvent pas être en télétravail. Pour la plupart des informations demandées, nous attendons toujours la réponse.
Le sujet du covid-19 a été abordé par la CSSCT (commission santé, sécurité et conditions de travail) mais sans nous : la CFDT et ses alliés au CSE nous avaient écartés de cette commission du CSE et n’ont pas jugé utile d’inviter notre lanceur d’alerte à ses réunions.
Force est de constater que nous nous sommes heurtés à une obstruction quasi-systématique de la direction, avec la complicité de la CFDT et de ses alliés au CSE.
La direction se félicite que tout va bien. C’est un fait que la direction n’en est plus au déni de réalité et que des progrès dans la lutte contre la propagation de l’épidémie ont été accomplis au sein de Capgemini. Gageons que ce DGI y est pour beaucoup et a contraint la direction à moins se préoccuper de ses profits et à plus se préoccuper de la santé de ses salarié.e.s.
Pour autant, nous ne la croyons pas sur parole. Nous avons par exemple eu connaissance de cas suspects de covid-19 pour lesquels la direction ne nous a pas prévenus (alors qu’elle avait l’obligation de le faire dans le cadre du DGI) ou nous a prévenus avec retard, et a tardé à procéder aux mesures indispensables de désinfection des locaux. De plus, la direction a le plus souvent refusé de délivrer à nos élu.e.s des justificatifs de déplacement professionnel, ce qui fait que nous n’avons pas pu nous déplacer sur tous les sites restés ouverts et donc contrôler par nous-mêmes si les mesures de sécurité avaient été mises en œuvre, ou pas, par la direction. Et puis pourquoi garder autant de sites Capgemini ouverts, où des salarié.es Capgemini ou des sous-traitants sont contraint.e.s de se déplacer et sont exposé.e.s à des risques de contamination ? Le télétravail n’est-il vraiment pas possible pour ces salarié.e.s ? Les prestations qui y sont effectuées correspondent-t-elles à des activités indispensables, par exemple dans le domaine médical ou pour des produits de première nécessité ?
Ensuite le temps viendra pour des éventuelles actions en justice qui détermineront les responsabilités dans la catastrophe que nous vivons et qui procèderont à de possibles condamnations.